La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt intéressant le 10 septembre 2015 concernant le temps de trajet des salariés itinérants entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients (affaire Tyco).
Le journal 20 minutes m’a interviewé sur le sujet dès le vendredi 11 septembre pour une première explication générale.
Sans attendre, je reviens sur cette affaire pour proposer aux employeurs un décryptage un peu plus précis de cette décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Pour plus de détails et une analyse au cas par cas en fonction des besoins de votre entreprise et des demandes de vos salariés itinérants, je ne peux que vous inviter à m’écrire ou à m’appeler. Je réponds toujours !
1/ Quel est le sens général de la décision de la CJUE ?
Dans cette affaire, les techniciens de la société Tyco en Espagne n’avaient pas de lieu de travail fixe. Ils partaient de chez eux chaque jour avec leur véhicule de fonction pour intervenir chez les différents clients de la société pendant la journée et rentraient le soir.
Le problème portait sur le temps de trajet de ces salariés itinérants entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients. Ils contestaient la position de la société selon laquelle leur temps de travail ne commençait à être décompté qu’à partir de leur arrivée chez le premier client de la journée et cessait d’être décompté au moment où ils quittaient le site du dernier client. Tous les trajets domicile / lieu de travail étaient considérés comme des temps de repos.
La CJUE considère quant à elle que ces temps de trajets de ces salariés itinérants doivent tous être qualifiés de temps de travail effectif.
2/ Quel est le problème juridique pour les employeurs français ?
En France, la règle concernant ces temps de trajet entre le domicile et le temps de travail est différente. Elle correspond à une solution intermédiaire entre la position de la société Tyco (repos) et celle de la CJUE (temps de travail).
Article L. 3121-4 du code du travail :
« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire. »
Autrement dit :
- Si le temps de déplacement est « normal« , c’est-à-dire habituel pour la région, il est considéré comme du temps de repos (par exemple 45 minutes en région parisienne : Cass. soc. 25 mars 2015) ;
- Si le temps de déplacement est plus long qu’un temps de déplacement habituel d’un salarié dans la région pour se rendre au travail et rentrer le soir, il convient de compenser en octroyant au salarié une indemnisation financière ou du temps de repos supplémentaire. Pour autant, ce temps de déplacement n’est pas considéré comme du temps de travail effectif (voir par exemple : Cass. soc. 14 nov. 2012 ; Cass. soc. 30 mai 2018, n°16-20.634).
Le problème juridique est donc clair :
Les temps de trajet importants entre le domicile et le lieu de travail qui sont actuellement indemnisés ou compensés par du repos risquent d’être qualifiés comme étant des temps de travail effectif à part entière.
3/ Quel est le risque concret pour les employeurs ?
En droit, le raisonnement est toujours le même :
- On procède à la qualification juridique d’une situation factuelle. Autrement dit, on donne un nom juridique à un fait. Par exemple, le document dans lequel il est convenu qu’une personne travaillera pour une autre contre rémunération est qualifié de contrat de travail.
- Une fois que l’on connaît la qualification juridique de telle ou telle situation, on applique les règles qui sont propres à cette qualification. C’est ce que l’on appelle le régime juridique applicable. Par exemple : une fois que l’on a qualifié le document de contrat de travail, on sait qu’il faut respecter le SMIC, les 35 heures, la convention collective, etc.
Le risque est donc le suivant :
Si on qualifie ces temps de trajet entre domicile et lieu de travail de temps de travail effectif, il convient d’appliquer le régime juridique du temps de travail. Or, les règles applicables au temps de travail sont très contraignantes pour les employeurs français !
Une telle interprétation de la décision de la CJUE emporterait des conséquences notamment sur :
- Le paiement de ces temps de trajet (et des cotisations patronales) ;
- Le calcul et l’organisation de la durée du travail ;
- Les temps de repos ;
- Les congés.
4/ Est-il possible pour les employeurs de contrer les effets de cette décision ?
Comme la Cour de cassation, la CJUE apporte une solution juridique à une situation qui lui est présentée. Les décisions rendues ont alors une portée plus ou moins importante en fonction de la manière dont la solution est présentée. Soit elle répond à une situation factuelle très spécifique (portée faible), soit elle fixe une règle générale qui peut concerner toutes les situations similaires (portée importante).
L’arrêt de la CJUE sur les salariés itinérants a une position intermédiaire, ce qui laisse une marge de contestation aux employeurs pour contrer ses effets et l’interprétation très large qui en sera donnée par les salariés et syndicats.
Je vous propose quelques pistes de réflexion en ce sens, qu’il faudra bien entendu approfondir le cas échéant :
- En premier lieu, la CJUE répète à plusieurs reprises l’expression « dans une situation telle que celle en cause au principal », ce qui indique qu’elle semble rendre une décision répondant à la situation spécifique qui lui est présentée et donc pas forcément applicable à tous les cas plus ou moins comparables.
- La CJUE insiste d’ailleurs fortement sur le changement d’organisation opéré au sein de la société Tyco. En effet, la société demandait auparavant aux salariés de se rendre au bureau régional. Elle décomptait alors le temps de travail à partir de leur arrivée au bureau le matin puis cessait de le décompter lors de leur départ de ce même bureau le soir. La société a ensuite décidé de supprimer les bureaux régionaux et demandé aux salariés de partir directement de chez eux pour se rendre chez le premier client puis de rentrer à leur domicile après avoir quitté le dernier client le soir. Pour le décompte du temps de travail, elle a alors retenu l’arrivée chez le premier client et le départ depuis le dernier client du jour. Dans son raisonnement, la CJUE retient que la nature des déplacements n’a pas changée mais que seul le point de départ a été modifié. Elle en conclut qu’ils doivent continuer à être considérés comme du temps de travail effectif. L’analyse pourrait être différente pour des salariés directement embauchés dans ces conditions.
- La Cour retient le fait que la liste des clients à voir, les horaires précis de visite et la distance séparant le domicile des salariés itinérants de leurs premier et dernier lieux d’intervention étaient imposés par l’employeur. Ce mode d’organisation rigide ne correspond pas à celui de nombreux salariés itinérants qui disposent d’une marge de liberté plus importante.
- La Cour retient que le lieu de travail des salariés « n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel (…) ne peut être réduit aux lieux d’intervention physique de ces travailleurs chez les clients. » Ce faisant, elle semble cantonner la portée de sa décision aux cas dans lesquels les salariés n’ont absolument aucun autre lieu de travail que leur propre domicile et les sites des clients. Cette limite pourrait être exploitée par les employeurs.
- Enfin, la CJUE laisse une ouverture très intéressante qui pourrait permettre au droit français de continuer à s’appliquer puisqu’elle rappelle que « le mode de rémunération des travailleurs dans une situation telle que celle en cause au principal relève, non pas de ladite directive, mais des dispositions pertinentes du droit national. »
Pour conclure :
- Cette décision de la CJUE sera probablement à l’origine de réclamations et de contentieux ;
- Pour autant sa portée reste incertaine et laisse donc une marge de discussion aux DRH et aux chefs d’entreprises.
Merci pour votre veille européenne. Hélas cette dėcision semble aller à l’encontre de la sėcuritė juridique qu’avait apportė l’introduction dans le code du travail de la distinction même floue entre temps de trajet et le temps de travail.
ET oui, je suis bien d’accord, mais cala pourra aussi être un argument. La loi avait d’ailleurs, me semble-t-il (à revérifier) été validée par le Conseil constitutionnel…
Heureusement que vous ne faites pas la pluie et le beau temps 😉
Bonjour Gilles,
Je ne sais pas comment je dois prendre ce commentaire…
Mais je suis d’accord avec vous sur le fond, ce serait une trop grande responsabilité 🙂
Bonjour,
Merci pour vos éclairages.
Les pratiques sont invraisemblables dans les entreprises de services à la personne. Certains employeurs indemnisent au salarié les temps de trajets + frais de déplacement + courtes pauses entre deux clients visités pour un forfait global à moins de 1€/heure facturable au client (validation DIRECCTE locale), d’autres se basent sur la CCNB et rémunèrent le trajet + l’intermission en temps de travail effectif et indemnisent les km à 35ct/km
Résultat : coût de revient + 30% et prix de vente rébarbatif… Mais qui suivre ?
Merci pour vos astuces monsieur L’AVOCAT, ou devrais-je dire monsieur l’escroc !!!!! Pendant que vous vous la coulez douce derrière votre bureau, nous les employés itinérant on sillonnent les routes de FRANCE, sans être payé un centime……on rentre a des heures tardives, on part de chez nous il fait nuit et on rentre chez nous il fait nuit, on voit a peine nos enfants et notre conjoint, mais vous vous donnez des astuces pour CONTRIBUER A NOTRE TRAIN DE VIE DE MERDE !!!!!!! VOUS N’AVEZ PAS HONTE !!!!!!! Comment vous faites pour vous regarder dans une glace??!!! ET TOUT CA POUR L’ARGENT !!!! ppppffffff
Bonjour,
Personnellement je pense qu il y a certaines choses à améliorer à ce niveau. Je prends mon exemple, j effectue depuis 6 mois 1100 km sur mon temps de repos pour rejoindre mon lieu de travail (un chantier ferroviaire) 540 km allé le lundi et 540 km retour le samedi.
Je dois être le lundi soir sur le chantier pour 21h30 et je peux reprendre la route le samedi matin à partir de 7 h.
En gros je parcours 1100 km environ 11h de trajet tous les week-ends et bien entendu aucune compensation, mis à part la voiture de fonction et carte Gr, mais aucune indemnité, ni de repos compensatoire prévu.
Alors pourquoi pas se pencher sur le sujet et trouver une solution arrangeante pour tout le monde. 🙂
Bonjour maitre,
j’aimerai avoir une précision concernant mon cas.
Je suis Merchandiseur (promoteur de ventes) j’ai 12 départements a couvrir. Mon entreprise est spécialisé dans l’externalisation des commerciaux et promoteurs. Elle ne possède pas de bureau au niveau local. je fais beaucoup de deplacements environs 2 a 3h par jour entre mon premier client et mon retour a la maison. De plus mon emploi du temps est imposé entre 20 a 50% par mon entreprise ( ce qui me laisse peu de flexibilité). mon secteur est divisé en deux parti. et je suis obliger d’y aller toute les semaine. mon premier secteur va jusqu’a 1H30 de chez moi et mon deuxieme secteur se trouve Entre 2H et 3h de chez moi. moralité en comptant une semaine complete je suis en moyenne entre 10 et 15h par semaine de phase d’approche a mon premier client et le retour maison.Sachant que je decouche environ 2j par semaine.
selon la sorap ( voir lien en fin de mail) les trajet domicile travail ne sont pas considerer comme du temps de travail.
J’aimerai avoir votre avis sur mon cas car on parle pas de 2h mais bel et bien de plus de 30% de mon temps de travail.
merci d’avance.
cordialement
cyril
pj: droit de travail sorap
http://www.sorap.fr/wp-content/uploads/Cadre-juridique-Merchandising-mars-2015-Mode-de-compatibilit%C3%A9.pdf
Bonjour,
Je suis une salariée itinérante, toute fois je n’ai pas de temps de trajet « habituel ». En effet le siège de mon entreprise se trouvant à Bordeaux et mon domicile à Nantes, je ne me rends jamais au siège. J’effectue uniquement des trajets Domicile-client ou hôtel-client en fonction de la distance entre le client et mon domicile. En revanche il m’arrive de partir les dimanches lorsque mon client du lundi est trop éloigné.
Je cherche à me renseigner sur les législations qui régissent mon statu mais je ne trouve rien. Pouvez vous m’aider?
Merci par avance.
Adeline
Bonjour,
Je suis technicien informatique itinérant, et j’attend beaucoup de cette loi, car je suis exactement dans le cas des techniciens de Tyco.
Dans mon ancienne entreprise (Atos) parfois mes clients se trouve a plus de 3h de route de mon domicile, donc il m’arrive de faire des journée de plus de 6h de route le matin et le soir cumulé + 6h de travail chez les clients et n’avoir que 7 heures de payé (puisse que j’étais sur un régime a 35h) sans avoir le droit a déclaré ces 5h de plus en heures supplémentaire et cela sans que ça n’inquiète mon patron, ni même sur la fatigue que cela pouvais engendrer (Et somnoler au volant n’est pas une chose rare dans ce métier).
Un coup supplémentaire a ces gentils patron permettrai de mettre un hola a cette pratique.
bonjour
MON CAS
technicien itinérant avec un véhicule de service, ma fonction consiste de partir de chez moi le matin, d aller dans un point dépôt colis(TNT)quotidiennement, récupérer mon colis pour effectuer mes interventions chez mes différents clients.
mon employeur enlèvement le temps de départ de chez moi au point relais tout les matins sauf si je ne passe pas par le dépôt colis soit directement chez un client. la il prend en compte mon heure de départ de chez moi.
pour le soir , mon employeur déduit le temps (domicile/dépôt) de mon temps retour alors que je ne passe jamais au dépôt le soir je rentre directement de chez mon client à chez moi.
exemple
chez moi POINT A
dépôt POINT B
CLIENT POINT 1,2,3…
départ 8h
de A à B 30MIN
fin journée point A 18h
temps de travail comptabilisé 9h (18-8-.30-.30)
départ POINT A 8h
directement client 1,2,3…
fin de journée point B 18h
temps de travail comptabilisé 9h30 (18-8-.30)
MA QUESTION
le matin si je pars directement chez mon client pas de prise en compte d un temps de trajet mais le soir je reviens directement de chez mon client et j ai un temps de trajet comptabilisé est ce bien légal?
Bonjour,
j’aimerais un éclairage sur ces différents points car actuellement je réalise quotidiennement, pour me rendre sur mon lieu de travail, 400 km. Il n’y a pas de « lieu fixe » auquel me référer et c’est mon employeur qui va décider où je dois me déplacer.
J’aimerais tout d’abord savoir s’il y a une limite à ce temps de trajet? Car mon employeur m’a répondu qu’il pouvait m’envoyer où il souhaitait et qu’évidemment je n’ai pas la possibilité de refuser. Donc par exemple toute cette semaine je partais à 6h30 de chez moi, pour rentrer parfois à 20h en raison des difficultés de circulation.
Par ailleurs, la « compensation » pour ce temps de trajet (que je n’ai jamais perçue) est de l’ordre de 1 euros brut par heure supplémentaire de trajet (au delà des 1h20 « normales »), et seulement dans le cas où j’ai effectué 7h de travail effectif. Est-ce que cela est bien légal ?
Je vous remercie grandement pour votre réponse…
Bonjour,
Je suis cadre itinérant.
Je demeure en Seine et Marne 77
Mon secteur est l’Îe de France
Le siège à La Courneuve 93
Mon employeur m’impose 10 visites clients par semaine.
En fonctions des départements : par jour 150/200 kms – 2/3 visites – horaires réalisés journaliers, environ 9 h / 20 h. Puis une heure de CRM à la maison. Soit au total 9/21 h, pause déjeuner rarement plus d’une heure, souvent inexistante.
Je viens de recevoir des instructions comme quoi mes horaires devaient être : 9 – 18 h en extérieur ???
Que faire ?
Bien à vous,
E.C
Bonjour,
Je suis Technicien itinerant, avec un vehicule de societe, et je dépens de la convention collective « industrie Métallurgique O.E.T.A.M
Notre accord d’entreprise prevoit un forfait mensuel » petits déplacements » sur la base de 1h30 par jour à notre compte.
1er point: le forfait a été calculé individuellement sur la base des déclarations de trajets de l’année 2017. (Sur 12 mois, sans tenir compte des arrêts de travail et des congés). Sur cette moyenne mensuelle i’ a été décidé de retirer 20%!! Cela est il possible, malgré les écrits de la convention ? Car l’indemnité devient donc inférieure a 1h30 jour…
2nd point, dans le cadre d’un grand des placement (plus de 2h30: 1h45 aller + 1h45 retour), mon employeur peut il m’imposer de rester a l’hôtel, sous peine de ne pas payer mon temps de trajet retour si je décide de rentrer? (Vie de famille oblige)
Je vous remercie pour vos éventuels réponses et éclaircissements.
Bonjour Monsieur,
Je suis merchandiseur, j’effectue des missions de quelques heures par jours pour différents fournisseurs mais avec le même prestataire de service ou Intérim;
La société qui m’emploie a décidé de nous rémunérer les kms pour chaque mission au prorata du temps de travail, c’est à dire : 20 kms par heure travaillée ; est ce légal ? ? ?.
Je vous remercie, par avance, pour votre réponse.
Cordialement
Bonjour,
J’ai une voiture de service mise à disposition pour mes déplacements.
Vu les missions et les lieux je n’aurai pas le temps d’aller chez moi avec mon véhicule personnel pour ensuite récupérer le véhicule de service. Je vais donc déjeuner chez moi avec le véhicule de service sur les heures de pause puis je me rends à mon RDV (à moins de 10 km).
Est-ce autorisé ? est-ce considéré comme faisant partie de ma mission ?
CDT
Meri pour votre réponse